Portrait

Journaliste et documentariste, Marie-Monique Robin est passée de la lutte contre les pesticides à la défense de la biodiversité. Et se tient, infatigablement, en alerte.  

Elle a le phrasé accéléré de ceux qui crient qu’il y a urgence et la précision, la justesse, de ceux qui savent de quoi ils parlent. Marie-Monique Robin, 62 ans, infatigable globe-trotteuse au service de ce que les Amérindiens appellent la Pachamama, est à Pantin le 16 février pour une projection-débat de son dernier film, La Fabrique des Pandémies. Qu’est-ce qui fait courir ainsi, de villes en villes, cette réalisatrice documentariste et journaliste d’investigation après une centaine de rencontres en public ? « Le rapport du WWF sur l’état de la planète est extrêmement inquiétant, rappelle-t-elle dans un café parisien, l’effondrement du vivant va à une vitesse vertigineuse, on est en train de provoquer la sixième extinction des espèces, on n’a pas compris que nous faisions partie de toute une chaîne du vivant. »

Cette journaliste reconnue par ses pairs, lauréate du prix Albert-Londres, avoue qu’il y a parfois de quoi sombrer dans la collapsologie. Pour prendre la mesure des menaces qui pèsent sur la biodiversité, une phase de dépression est d’ailleurs, d’après elle, nécessaire. « On est en train de détruire les fondements mêmes de la vie, et ça s’emballe… », hurle-t-elle. Car tout se tient. La déforestation en Amazonie enlève la capacité de la planète à absorber le CO2. Cela contribue au dérèglement climatique en même temps que cela bouleverse les équilibres naturels qui favoriseront la circulation des virus. Et qu’importe si la Covid-19 a pu s’échapper du laboratoire P4 de Wuhan, le syndrome respiratoire aigu sévère de 2002 montre qu’il y a toujours un animal hôte pour permettre à la chauve-souris de passer sa charge virale à l’homme. Et ainsi créer des agents pathogènes ou des foyers infectieux susceptibles de gagner l’ensemble de la planète.

La dépression ou plutôt une « grosse déprime », comme elle dit, Marie-Monique Robin reconnaît l’avoir connue en 2011, quand elle a pris conscience de ce qui se tramait à travers l’évolution du climat. Après des sécheresses à répétition, elle lit les rapports du Giec. Cela fait écho à tout le travail qu’elle a mené jusque-là. Elle vient d’écrire Notre Poison quotidien (La Découverte) après avoir entendu Bruno Le Maire, alors ministre de l’Agriculture, dire qu’on ne pouvait nourrir le monde sans pesticide. « Cela m’a pris deux ans d’enquête pour prouver le contraire », se souvient-elle. L’industrie de l’agro-chimie tente de couvrir ses travaux en popularisant l’idée d’une « dose journalière admissible ». « Du pipeau ! », lance-t-elle. Elle propose aussi un modèle de transition écologique à travers Qu’est-ce qu’on attend un film centré sur Ungersheim, une petite ville d’Alsace.

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La lutte contre les pesticides, c’est bien sûr l’un des grands combats de Marie-Monique Robin avec Le Monde selon Monsanto. À la fois film « le plus piraté » d’Arte, et livre écrit en 30 langues, vendu à 170 000 exemplaires en France, cette enquête lui a valu une contre-offensive en règle du fabricant dont un cabinet d’avocat canadien et une agence de communication à Buenos Aires. Elle n'hésite pas à qualifier de « criminelle » la multinationale à laquelle Paul François, céréalier intoxiqué et lanceur d'alerte, a réclamé 1,2 million d'euros de dommages et intérêts (il n'en a obtenu que 11.000 ). La réalisatrice a le soutien de l'avocat William Bourdon et d’un collectif d’ONG. Surtout, elle sait que « le diable est dans les détails » et qu’une petite erreur suffit à discréditer toute une enquête. D’où sa volonté de tout faire seule, en étant la plus rigoureuse possible. « Les techniques de désinformation sont inspirées de l’industrie du tabac, relève-t-elle, on dépense des millions pour instiller le doute avec des études bidons ou pour enfumer les agences de réglementation. »

Avoir un film et un livre en parallèle est une arme. « C’est très difficile d’attaquer les deux », observe celle qui tient aussi un blog et est devenue son propre média, via sa société M2R Films. En France, elle a obtenu satisfaction avec une loi anti-OGM. Mais dans le reste du monde ? C’est encore David contre Goliath. Aujourd’hui, cette fille d’agriculteurs issus de l’action catholique estime que l’écologie devrait être « la matrice de toute l’action politique ». Elle regarde du côté de la Nupes mais précise aussitôt : « Pour l’instant, j’ai plus d’impact avec mes livres et mes films ». La boucle est bouclée avec son travail sur la biodiversité. « C’est comme un grand puzzle, note-t-elle, il me manquait une pièce après tout ce que j’avais accumulé depuis des années ». Même un documentaire de 2003 sur les escadrons de la mort en Argentine, où elle a révélé l’apport de « l’école française » dans le terrorisme d’État de la junte, s’y insère : « Les dictatures ont permis le démantèlement des services publics qui ont permis l’arrivée de Monsanto ». Son prochain opus, prévu début 2024, a pour titre provisoire « Vive les microbes ». La biodiversité toujours, mais intérieure.

Parcours

15 juin 1960. Naissance à Gourgé (Deux-Sèvres).

1989. France 3 Régions puis Capa après le Cuej de Strasbourg.

1993. Voleurs d’organes, documentaire de 52 minutes, Planète-Canal+-ARD.

1995. Voleurs d’yeux, M6, Prix Albert Londres.

1998. Les 100 photos du siècle, Arte.

2003. Escadrons de la mort, l’école française.

2008. Le Monde selon Monsanto, 108 mn, Arte et La Découverte.

2009. Torture made in USA, 85 mn, CFRT.

2012. Les Moissons du futur, La Découverte.

2017. Le Roundup face à ses juges, Arte et La Découverte.

2022. La Fabrique des Pandémies, M2R Films et La Découverte.

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